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Fiscalité :

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Rétrospective de l'évolution du système fiscal à la veille des assises fiscales de mai 2019

Rétrospective de l'évolution du système fiscal marocain

En tant qu’ancien ministre des finances, vous avez été un des acteurs majeurs de la mise en œuvre de la réforme de la fiscalité initiée en 1984. Quel bilan faites-vous de cette époque et quels impacts sur la transparence fiscale en général?

En effet, cette réforme s’inscrit dans le cadre du programme d’ajustement structurel entrepris à l’époque en vue de stabiliser le cadre macroéconomique et créer les conditions d’une croissance saine et durable: réduction des déficits internes et externes, rationalisation des dépenses publiques, privatisation, ouverture économique et commerciale, réforme des marchés financiers, réforme des entreprises publiques etc..
Sur le plan fiscal, la loi cadre adoptée en 1984, s’est fixée pour principaux objectifs: la mise en place d’un système qui assure d’une part une meilleure répartition de la charge fiscale et un élargissement de l’assiette et la réduction des taxes et d’autre part, un renforcement des garanties que la loi accorde aux contribuables. On a assisté également au remplacement de la taxe sur les produits et les services par la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA) en 1986; à la suppression des impôts catégoriels appliqués par nature de revenu et leur remplacement par l’impôt sur les sociétés (IS) en 1988 et de l’Impôt Général sur le Revenu (IGR) en 1990

 

Peut-on dire que cette réforme a atteint ses objectifs?

Il faut reconnaitre qu’en dépit des efforts accomplis dans le sens de la simplification et de la mise en place d’un système synthétique, la cédularité n’a pas totalement disparu. En effet, d’autres taxes, comme la Taxe sur le produit des actions et parts sociales (TP.A), la Taxe sur les Produits de Placements à Revenus Fixes (TP.P.R.F.), la Contribution sur les Revenus Professionnels et Fonciers Exonérés (eR.p.F.E.) et la Taxe sur les Profits de Cession de Valeurs Mobilières (TP.CVM.) ont été créées.
Sur le plan de la dépense fiscale, on assistera, au début des années quatre-vingt-dix, à une tentative de rationalisation des avantages fiscaux par la mise en place d’une charte des investissements en 1996. Cette charte remplace les différents codes sectoriels qui couvraient précédemment l’essentiel des activités économiques du pays.
Les avantages fiscaux maintenus sont orientés vers des activités prioritaires, comme l’export, ainsi que vers des régions défavorisées et sont introduits dans le droit commun, sans la nécessité de l’obtention d’une autorisation préalable.

Sont venues ensuite les premières assises de la fiscalité en 1999. Pourquoi et pour quels résultats?

Il fallait faire le point de la situation, plusieurs années après la réforme des années 80.
L’organisation des premières assises nationales sur la fiscalité en 1999 a été l’occasion de disposer d’un diagnostic commun et concerté sur le système fiscal et a permis d’arrêter de manière collective une feuille de route pour moderniser davantage le système fiscal marocain.
Ainsi, à partir de 1999, on assiste à une évolution qui a permis d’introduire des changements concrétisant les principes directeurs fixés par la réforme fiscale. Pour simplifier le système et réduire sa cédularité, certaines taxes ont été abrogées (P.S.N., la eR.p.F.E.) et d’autres intégrées dans l’l.S. ou l’I.G.R. (TPA, TP.P.R.F., TP.I, TP.CVM.), et ce bien que le maintien des impositions à des taux libératoires ne permettait pas de répondre totalement à l’objectif d’une imposition globale considérée plus équitable.
Je voudrais rappeler à ce propos, que de nombreuses réformes ont été introduites par la suite à travers les lois de finances successives de 2000 à 2011 et qui se sont traduites par la mise en place d’un ensemble de mesures de simplification, de rationalisation et d’harmonisation du système fiscal, qui ont conduit à la mise en place de plusieurs dispositifs importants comme la réforme des droits d’enregistrement en 2004, l’amorce de la réforme de la TVA en 2005, l’élaboration du livre des procédures fiscales en 2005, l’élaboration du livre d’assiette et de recouvrement en 2006, le regroupement des textes fiscaux dans un même volume: le Code Général des Impôts, édité en 2007, l’intégration de la taxe sur les actes et conventions dans les droits d’enregistrement en 2008, et l’élaboration de la note circulaire globale publiée finalement en 2011.

Alors comment sont régis actuellement les principaux impôts et taxes?

Pour simplifier, actuellement les principaux impôts et taxes sont régis par deux textes:
• le Code Général des Impôts qui couvre l’IS, la TVA, l’IR, les droits d’enregistrement, les droits de timbre et la taxe spéciale annuelle sur les véhicules automobiles;
• et la loi n° 47-06 relative à la fiscalité des collectivités locales, qui s’articule autour de deux axes:
> le premier concerne les taxes gérées par les collectivités locales elles- mêmes,
> et le second concerne les taxes locales gérées par la Direction Générale des Impôts (DGI) pour le compte des collectivités locales. Ces taxes locales concernent deux catégories de redevables:
> la taxe professionnelle et la taxe de services communaux dues par les entreprises;
> la taxe d’habitation et la taxe de services communaux, dues par les particuliers.

D’autres taxes, redevances ou contributions subsistent encore ou viennent même d’être créées, autorisant des prélèvements non affectés directement au budget général de l’Etat ou celui des collectivités locales.

Si les assises de 1999 ont conduit à ces résultats, pourquoi organiser de nouvelles assises en 2013?

Incontestablement, il faut le reconnaitre, depuis les années 80, le Maroc a réalisé de grandes avancées au niveau de son système fiscal.
Mais cela n’empêche pas qu’on doit de manière régulière faire un bilan de ce qui a été fait et de ce qui reste à faire, de ce qui a marché et de ce qui n’a pas marché. C’est vrai, qu’à partir d’une vision telle qu’elle est définie dans une loi cadre, différentes mesures se trouvent introduites à travers les lois de finance successives, pour répondre à des préoccupations ou à des pressions sectorielles ou catégorielles du moment.
Tout cela s’est traduit par des distorsions du système fiscal et par une réduction de sa cohérence. La cohérence d’un système est essentielle pour lui donner son sens d’équité et de transparence. C’est l’objectiffinal !Je dois aussi souligner que le monde évolue à grande vitesse, les technologies aussi! La mondialisation et la concurrence internationale que subissent nos entreprises nous demandent à faire le point de nos stratégies afin de nous réadapter en permanence. D’où la nécessité d’avoir organisé les 2èmes assises en 2013 !
Le fait d’organiser ces 3èmes assises aujourd’hui juste 6 ans après celles de 2013 montre que le Maroc est conscient de la nécessité de prendre en considération ces évolutions continues.

Les troisièmes assises sur la fiscalité sont très attendues. Quels sont les axes de travail prioritaires à aborder durant ce rendez-vous incontournable et y aura- t- il un calendrier de mise en œuvre?

Les assises de la fiscalité sont un moment de réflexion, d’échanges et de débats. Le but est de préparer une loi cadre issue de ces débats et dont la déclinaison sera faite progressivement sur une durée de 5-10 ans. On définit des principes qui doivent répondre à nos préoccupations majeures actuelles et futures. Il faut comprendre qu’un système fiscal ne vit pas en vase clos .
Je parlais tout à l’heure de cohérence. Cette cohérence ne doit pas être recherchée uniquement au sein du système fiscal, mais en relation avec toutes les composantes de la vie économique et sociale. Car en fait tout est lié! Nous devons réfléchir en termes de complexité, pour reprendre la pensée d’Edgar Morin. C’est pourquoi nous devons relier le système fiscal au modèle de développement de notre pays.
Mais ce modèle n’existe pas encore!
Effectivement. Alors en attendant, on s’est proposé de baser nos réflexions sur les messages contenus dans 3 discours importants de Sa Majesté.
Quels sont ces messages 7 La nécessité de prendre en considération le capital immatériel dans toute décision stratégique, avec ses trois composantes: le capital humain, le capital institutionnel et le capital social. Nous enregistrons en effet un retard considérable sur ce plan, en particulier dans le domaine de l’éducation, alors que ce capital immatériel constitue le ferment de notre productivité et de notre compétitivité, source de création d’emplois.
Ensuite le niveau de chômage élevé des jeunes, surtout des jeunes diplômés. Le chômage alimente les inégalités et nuit à la cohésion sociale. N’oubliez pas que le travail est d’abord une source de la dignité humaine et la cohésion sociale est le ciment de notre identité et de notre unité.
Enfin, la nécessité de revoir notre modèle économique, qui malgré un taux d’investissement considérable de 32% du PIB, ne crée pas d’emplois! Insuffisance d’investissements productifs qui devraient découler d’une meilleure combinaison du capital matériel et du capital immatériel.
Notre croissance ne crée pas d’emplois. Elle est de mauvaise qualité! Elle est irrégulière, insuffisamment inclusive et mal répartie. Si la demande publique et privée peut constituer un levier pour la croissance, dans notre cas, elle s’adresse en bonne partie à la production étrangère venant aggraver ainsi le déficit de notre balance commerciale. Or, c’est par la production que se créent les revenus, la consommation, les investissements et l’emploi.

Comment une nouvelle politique fiscale pourrait contribuer à résorber ces déficits?

C’est la croissance économique qui crée des emplois et qui alimente les recettes fiscales. La politique fiscale n’est qu’un des instruments pour créer la croissance. D’où la nécessité de l’inclure dans une vision globale en liaison avec d’autres instruments comme la politique monétaire, la politique des taux de change, l’amélioration de la gouvernance, la rationalisation de la dépense publique, l’éducation etc.
La croissance est tirée par les investissements productifs créateurs d’emplois permanents. C’est à ce niveau que doit s’orienter notre stratégie. C’est notre principe de base. La fiscalité doit inciter ce type d’investissements. En créant des emplois, on participe à la réduction des inégalités.

Le système fiscal marocain comporte plusieurs impôts et taxes. D’après vous. est-ce le moment de réduire la pression fiscale en supprimant certains impôts et taxes?

Notre pression fiscale est de 22,50 %. Mais toute comparaison avec d’autres pays est à exclure ! Car si on écarte du dénominateur le PIB agricole et les autres centres exonérés, la pression fiscale serait de 26%, proche de la moyenne des pays de l’OCDE. Mais le problème n’est pas là. Cette pression est inégalement répartie! Quelle est la pression optimum pour un pays comme le Maroc, sachant qu’en Turquie, notre concurrent, elle est de 19% ?
La baisse de la pression fiscale pourrait être menée d’abord par une meilleure rationalisation de certaines taxes. Par exemple la TVA. La TVA comporte des distorsions du fait de certaines exonérations et de la multiplicité des taux, ce qui conduit à une surcharge fiscale pour certaines entreprises.
De même pour la fiscalité locale. La taxe professionnelle telle qu’elle est conçue aujourd’hui est un frein à l’investissement. Il faudrait la remplacer par une taxe sur l’activité. Les 27 taxes locales sont source de mécontentement et de complexité aussi bien pour les contribuables que pour l’administration. Elles doivent être réunies en 2-3 taxes. L’effort de simplification et de visibilité du système fiscal est de nature à améliorer les relations entre les deux parties!

Les travaux des assises permettront. entre autres. d’alléger la pression fiscale sur les entreprises. Qu’en est-il pour les particuliers?

Pour baisser les taux d’imposition, il faut d’abord élargir la base imposable. C’est le chemin pour une plus grande équité. Sachez que moins de 1 % des sociétés paient 80% de l’IS. Il en est de même de l’IR. 60% des recettes de l’IR proviennent des prélèvements sur salaires. Ce n’est pas équitable! Beaucoup d’entreprises et de personnes physiques ne contribuent pas aux recettes fiscales en proportion de leurs revenus. L’expérience menée dans les autres pays a montré que la baisse des taux avec l’élargissement de l’assiette a conduit à une amélioration significative des recettes fiscales et à une meilleure adhésion à l’impôt. Tout cela nécessite évidemment des dispositifs nouveaux pour lutter contre la fraude fiscale, la contrebande et la poussée progressive du secteur informel vers le formel.
J’ajoute qu’en élargissant la base imposable, on élargirait en même temps la base des prélèvements sociaux, pour une meilleure couverture de santé et de retraite, d’une partie de la population dont le travail est précaire, alimenté par le secteur informel. On doit lutter contre la précarité. Il faut bien comprendre que notre vision fiscale est aussi d’essence sociale! Notre objectif, on s’en rappelle, est aussi de réduire les inégalités.

Le Maroc a mis en œuvre un ensemble d’avantages fiscaux dérogatoires aux secteurs exportateurs et aux zones franches. CFC …. La portée de ces avantages serait-elle réexaminée lors de ces assises?

C’est juste ! La dépense fiscale a atteint un niveau considérable – 32 milliards de dirhams- sans qu’elle ne soit justifiée par rapport au principe édicté plus haut. Une évaluation de toutes les exonérations existantes est en cours. Certaines exonérations pourraient être remplacées par des subventions contractuelles directes, comme une participation aux infrastructures industrielles que certaines entreprises sont amenées à effectuer sur les sites.
Quant aux avantages accordées aux zones franches et à CFC par exemple, nous sommes appelés à respecter les règles de conformité internationales, en particulier en relation avec nos partenaires. Ces règles ne concernent pas uniquement la fiscalité, mais l’organisation du secteur financier. L’objectif est de lutter contre la fraude fiscale, le blanchiment d’argent, et le financement du terrorisme.

Durant ces assises. un projet de loi-cadre sera élaboré pour définir les grandes orientations du nouveau système fiscal national. V’a t’il des garanties que les lois de finances à venir soient dans la continuité de l’esprit de ces assises?

Toute mesure fiscale qui serait introduite dans les lois de finances à venir doit respecter les principes édictés dans la loi cadre. Elle doit passer par ce filtre: Promouvoir l’investissement productif créateur d’emplois permanents, l’équité, l’efficacité, la simplification des procédures, et la transparence. Mais surtout il faut veiller à ce que l’administration fiscale soit imbibée par ces principes et par la nécessité d’aider à une plus grande adhésion de la population à l’impôt, et ceci par une meilleure communication. La mise en place d’un guide fiscal simplifié serait utile.
Il est nécessaire aussi que le contribuable perçoive d’une manière tangible la contrepartie de ses contributions en termes de services publics, dans les domaines de la sécurité, de la santé ou de l’éducation.
La recherche d’un meilleur équilibre des droits et devoirs du contribuable et de l’administration est aussi important. L’administration ne doit pas être juge et partie, c’est-à-dire élaborer les textes, les appliquer et en contrôler l’exécution. Elle doit tendre vers une administration à visage humain où la confiance devient une règle de départ. La création d’un conseil national des prélèvements obligatoires pourrait aider à cette mutation.
Rien n’empêche enfin de prévoir un programme éducatif sur le rôle de la fiscalité dans les écoles.
D’une manière générale, la réussite d’un système fiscal, c’est finalement une affaire d’éducation.

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